Points de langue - 7 avril 2008 - 3 min

Billion et autres grands nombres

Dans le dictionnaire d’Antidote, on trouve deux sens pour le mot billion : un sens moderne (« un million de millions ») et un sens ancien (« un milliard »). À quand ce changement de sens remonte-t-il ?

On a développé divers systèmes au cours des âges pour donner des noms maniables aux très grands nombres, supérieurs au million.

Le système français « moderne » est en fait d’un âge vénérable, puisqu’il remonte pour l’essentiel à un mathématicien français du xve siècle, Nicolas Chuquet. Dans ce système, on combine un préfixe numérique latin (bi, tri, etc.) avec le suffixe illion pour former les puissances du million : un billion vaut un million au carré, soit un million de millions ; un trillion vaut un million au cube, soit un million de millions de millions. Les puissances suivantes portent les noms quatrillion (ou quadrillion), quintillion, sextillion, septillion, octillion et nonillion.

Ce système est parfois appelé échelle longue, par opposition à l’échelle courte, un système qui est aussi né en France, au xviie siècle, et qui utilise des noms identiques en leur assignant toutefois des valeurs différentes. Dans l’échelle courte, un billion vaut mille-millions1, un trillion vaut mille-billions, et ainsi de suite. Comparer les trois premières colonnes du tableau ci-dessous.

Nombre Nom Multiple du SI
échelle courte échelle longue préfixe symbole
106 un million un million méga M
109 un billion mille-millions ou un milliard* giga G
1012 un trillion un billion téra T
1015 un quatrillion mille-billions péta P
1018 un quintillion un trillion exa E
1021 un sextillion mille-trillions zetta Z
1024 un septillion un quatrillion yotta Y
1027 un octillion mille-quatrillions ronna2 R
1030 un nonillion un quintillion quetta2 Q

* Le mot milliard, apparu au xvie siècle est généralement utilisé en français dans l’échelle longue comme synonyme de mille-millions. On rencontre parfois aussi les noms billiard, trilliard, etc., comme synonymes de mille-billions, mille-trillions, etc., mais l’emploi de ces mots rares n’est pas recommandé.

Du xviie au xixe siècle, en France, l’échelle courte a concurrencé et progressivement supplanté l’échelle longue, dont les jours semblaient comptés. Mais celle-ci bénéficia d’un regain de faveur après la redécouverte de l’œuvre de Chuquet à la fin du xixe siècle. Si bien qu’en 1961, c’est l’usage de l’échelle longue qui a été officialisé dans un décret3 paru au Journal officiel de la République française. Cette échelle est aussi en usage dans les autres pays et régions francophones.

Si l’échelle courte est devenue désuète dans la francophonie, elle avait auparavant eu le temps de se répandre ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, où elle est toujours en vigueur et où le mot anglais billion est donc synonyme de notre milliard (109), et non de notre billion (1012). L’usage américain et l’usage britannique du mot anglais billion furent d’ailleurs longtemps différents, car ce n’est qu’en 1974 que le Royaume-Uni passa de l’échelle longue à l’échelle courte. La plupart des pays anglophones, dont le Canada anglais, suivent aujourd’hui l’usage des États-Unis, c’est-à-dire l’échelle courte. Mentionnons au passage que le mot milliard, inusité en anglais américain, ne fut guère plus utilisé en anglais britannique, car, à l’époque où le Royaume-Uni utilisait l’échelle longue, on préférait généralement employer l’expression thousand million.

L’emploi des deux échelles a donc varié en fonction des langues, des régions et des époques4. En 1948, la 9e Conférence générale des poids et mesures (CGPM) avait envisagé de recommander officiellement l’échelle longue comme échelle internationale, mais la proposition ne fit pas l’objet d’une résolution. À partir de 1960, la CGPM privilégia plutôt, pour son nouveau système international d’unités (SI), l’emploi de préfixes d’origine grecque pouvant se combiner avec les noms des unités. Le tableau ci-dessus donne la liste des préfixes et symboles utilisés dans le SI pour représenter les grands multiples. Par exemple, avec l’unité de fréquence hertz (symbole Hz), la quantité un milliard de hertz (en anglais, one billion hertz) pourra s’écrire dans le SI un gigahertz (en anglais, one gigahertz) ou 1 GHz.

Le système de préfixes et de symboles du SI est parfois étendu dans l’usage courant à des unités qui ne relèvent pas du SI, comme les unités monétaires. Il peut s’avérer utile pour des notations abrégées ou pour éviter l’ambigüité d’un mot comme billion. Pour plus de détails, voyez notre Point de langue sur l’abréviation de million et milliard.


  1. Les graphies avec trait d’union mille-millions, mille-billions, etc., sont conformes aux rectifications de l’orthographe. En orthographe traditionnelle, ces nombres s’écrivent mille millions, mille billions, etc. 

  2. Mise à jour (2024) — Les préfixes ronna et quetta, ainsi que leurs symboles R et Q, ont été ajoutés au SI en 2022. 

  3. Décret no 61-501 du 3 mai 1961, voir la note 3A figurant à la page 14 (4587) et l’erratum figurant à la page 15 (7572).  

  4. Pour en savoir plus, voir notamment l’article Échelles longue et courte de Wikipédia. 

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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