Auguste : d’empereur à bouffon
Le divin Auguste serait surement outré du traitement infligé à son titre. Non seulement on l’a comprimé, mais on s’en est aussi servi pour désigner un pitre ! Espérons que le premier empereur romain excuserait ce manque de respect en comprenant qu’il n’était pas intentionnel, car c’est le propre de l’évolution des mots d’aboutir parfois à des résultats inattendus. En tout cas, peut-être cette histoire de mots refroidira-t-elle la quête de célébrité éternelle de certains, qui apprendront ce qu’il peut advenir d’un nom illustre après plusieurs siècles…
aout
À l’origine, le mois d’aout s’appelait simplement sextilis (mensis), c’est-à-dire sixième mois de l’année romaine, qui débutait à l’époque en mars. En l’an 8 av. J.-C., le sénat de Rome décréta qu’on donnerait désormais à ce mois le nom d’Auguste afin d’immortaliser le premier empereur romain, vainqueur de Marc Antoine et de Cléopâtre. Une décision similaire avait, une quarantaine d’années plus tôt, attribué le nom de son grand-oncle et père adoptif, Jules César, au mois de juillet (voir l’Histoire de mots Juin et petit juin). La numérotation romaine des mois suivants s’est conservée jusqu’à nos jours : septembre (7), octobre (8), novembre (9) et décembre (10), même si le début de l’année avait été reculé à janvier bien avant l’époque de César.
Précisons qu’en plus de changer son nom, le sénat décida d’ajouter un jour au mois d’aout, qui n’en comptait que trente, afin qu’Auguste ne se sente pas diminué par rapport à son père adoptif, dont le mois en comptait trente-et-un. On compensa cet ajout en retranchant un jour au mois de février, auparavant de vingt-neuf jours. De plus, pour éviter que trois mois consécutifs (juillet, aout, septembre) soient longs, on transféra le trente-et-unième jour du mois de septembre au mois d’octobre et celui du mois de novembre au mois de décembre. D’où l’on voit que la répartition des jours de nos mois tient moins à la logique astronomique qu’à la susceptibilité impériale !
L’empereur Auguste aurait du mal à se reconnaitre dans le nom français du mois d’aout. En effet, contrairement à son parent agosto (espagnol et italien), ou, encore mieux, à August (anglais et allemand), le mot aout a subi une usure phonétique extrême qui le rend méconnaissable par rapport à son étymon latin augustus. D’abord, le latin populaire a altéré la forme classique en agustu. Par chute du g intervocalique et du u final, elle parvient en ancien français sous la forme aost, puis aoust, transcrivant fidèlement la prononciation [a-ou-s-t] de l’époque. Tout en maintenant la même graphie, le moyen français simplifie la prononciation en [a-ou], puis en [ou]. Le français classique supprime le s graphique et le remplace par un accent circonflexe sur le u, accent que les rectifications orthographiques de 1990 recommandent aujourd’hui d’éliminer.
La prononciation moderne standard de aout varie selon les régions. En France, c’est la prononciation [ou-t] qui prévaut, apparue par le même phénomène qui a restitué la consonne finale du mot mars (voir l’Histoire de mots Bonne ancienne année). La prononciation traditionnelle [ou] y a ainsi vieilli, mais pas au Québec, où elle demeure la prononciation usuelle. Notons qu’en dehors de la langue standard, on entend aussi occasionnellement les prononciations [a-ou] et [a-ou-t], d’origine dialectale ou influencées par la graphie.
auguste
L’adjectif latin augustus provient du latin augere ‘augmenter’, d’où viennent les mots français augmenter et augure, c’est-à-dire « celui qui interprète des présages favorisant l’accroissement d’une entreprise ». À partir de cette notion de grandeur, augustus a développé les sens ‘vénérable’, ‘majestueux’ et ‘sacré’. Jusque-là réservé aux dieux, le titre augustus est attribué par le sénat au premier empereur romain, Octave, l’héritier de Jules César. Il sera adopté par la suite par divers souverains. On rencontre le correspondant français auguste dans son emploi honorifique dès l’ancien français, mais seulement à partir du moyen français dans le sens de ‘vénérable’.
Le prénom français Auguste fait son apparition à la Renaissance. Il connait une certaine vogue de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. Une expression d’argot berlinois serait à l’origine du nom commun auguste, désignant un clown grotesque au nez rouge et au maquillage bariolé s’opposant au clown blanc, plus sérieux. Il s’agit de dummer august ‘homme stupide’, expression inspirée du prénom allemand correspondant August. On aurait lancé cette expression au cirque Renz de Berlin, vers 1880, en voyant un palefrenier ivrogne s’adonner à des pitreries sur la piste. Devant ce succès, on créa le clown grotesque dont le nez rouge rappellerait l’ivrognerie du personnage original. Le nom commun auguste est un terme didactique, remplacé par clown dans la langue courante.