Amour biblique ou profane
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Nous revoici en février, le mois des amoureux. Après les Mots tendres et l’Histoire d’amour, voici venu le temps des locutions coquines. C’est qu’Antidote 12, tout fraichement paru, offre pour la première fois la description étymologique de certaines locutions. Et trois d’entre elles semblent appropriées au contexte de la Saint-Valentin : chanter la pomme à, chaud lapin et connaitre bibliquement.
Il sera difficile de démêler le sacré et le profane pour deux d’entre elles, car connaitre bibliquement réfère à une activité bien profane (hum!) alors que chanter la pomme à, d’apparence profane, pourrait avoir une origine biblique. Seul chaud lapin se démarquera des deux précédents en restant résolument profane. Voyons l’histoire de ces trois locutions.
connaitre bibliquement
Le verbe connaitre peut être employé par euphémisme littéraire ou détournement comique pour vouloir dire ‘avoir des relations sexuelles avec’. Cette possibilité sémantique peut surprendre, mais elle ne date pas d’hier et n’est pas réservée au français. Qui plus est, elle provient vraisemblablement d’une source qu’on a coutume de considérer comme chaste : la Bible. Au XIe siècle, Salomon ben Isaac Rachi, rabbin et exégète juif né à Troyes, rédige en français de l’époque une série de gloses et de commentaires sur les différents livres du Tanakh, ou Bible hébraïque (correspondant à l’Ancien Testament des chrétiens). Il y rend le verbe hébreu yāḏaʿ, qui peut vouloir dire ‘percevoir, entrer en relation avec, célébrer, révérer’, par connaitre, ce qui donne, dans un passage célèbre : « L’homme [Adam] connut Ève, sa femme; elle conçut et enfanta Caïn » (Genèse 4:1, orthographe modernisée). Rachi justifie son choix plus loin, dans une marge du texte sacré : « Quand on a de l’affection pour quelqu’un, on le rapproche de soi pour mieux le connaître » (commentaire de la Genèse 18:19, cité dans P. Miquel, A. Egron et P. Picard, les Mots-clés de la Bible, 1996). Au siècle suivant, la traduction en ancien français des Quatre Livres des Rois de 1170 reprend le même terme pour exprimer le même sens.
Il est à noter que ce sens atténuant de connaitre s’était déjà illustré plus tôt, en latin chrétien. Saint Jérôme (ou Jérôme de Stridon), dans la Vulgate, sa traduction en latin du texte biblique, rend la fameuse union d’Adam et Ève ainsi : « Adam vero cognovit Havam uxorem suam » (« Adam connut Ève, sa femme »). La signification contextuelle du verbe latin cognoscere (verbe qui donnera, des siècles plus tard, le français connaitre) y est là aussi sans équivoque.
L’adverbe bibliquement, quant à lui, est un terme plus récent en français : ses premières attestations datent du XIXe siècle seulement et il ne devient courant qu’au XXe siècle. Auparavant, suivant l’anglais peut-être (comparons in the biblical sense ‘sexuellement’ dans to know (someone), but not in the biblical sense), l’expression considérée ici avait davantage cours sous la forme connaitre au sens biblique, et non bibliquement.
chaud lapin
La locution chaud lapin ‘homme porté aux plaisirs de l’amour’ est attestée depuis les années 1920. Elle a probablement été produite par l’influence phonétique de lapin sur la pince dans la locution chaud de la pince ‘homme porté aux plaisirs de l’amour’ (mon oncle est un chaud de la pince), apparue dans les années 1860. Pince est pris ici dans son ancienne acception argotique ‘organe sexuel de l’homme’ et chaud, dans le sens de ‘sensuel’. Le rapprochement avec le lapin est néanmoins justifié, vu sa réputation d’animal prolifique.
chanter la pomme à
Les Québécois usent de la locution pittoresque chanter la pomme à pour exprimer le sens ‘faire la cour à’. Or, quand on évoque la séduction et la pomme, le livre biblique de la Genèse nous vient naturellement à l’esprit. En effet, dans une interprétation de ce récit, Ève séduit Adam avec une pomme. Traditionnellement, les Québécois étaient de fervents catholiques. Certains ont donc souvent rapproché de la tentation d’Ève le nom pomme de chanter la pomme.
D’autres ont rattaché la locution aux danses folkloriques québécoises, qui faisaient l’objet d’une étroite surveillance des mœurs de la part des curés. Pour exprimer son désir envers sa partenaire, le danseur devait utiliser un code discret, qui consistait à toucher la paume de la main de sa partenaire de manière sensuelle. L’expression serait née de la confusion entre les mots paume et pomme, relevée d’ailleurs par le Glossaire du parler français au Canada (1930).
Ces deux hypothèses soulèvent cependant maintes questions. Pourquoi cette locution faisant référence à des traditions anciennes est-elle d’apparition récente (milieu du XXe siècle)? À quoi réfère le verbe chanter? Dans le cas de l’hypothèse biblique, pourquoi la pomme, à l’origine un instrument de séduction féminine, s’est-elle transposée dans cette locution en séduction traditionnellement masculine? Devrait-on chercher ailleurs la véritable origine de cette expression?
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