Assoir, rassoir, sursoir et leurs accessoires
Voici venu comme annoncé le temps de se rassoir pour cette deuxième séance consacrée aux verbes en ‑soir, à leur voisinage lexical et aux difficultés d’écriture qu’ils occasionnent. Pour se mettre ou se remettre en contexte, voir au moins l’introduction de la précédente chronique.
preseoir, préséance, présider
La première place dans cette revue revient à un disparu, preseoir, verbe de l’ancien français que son sens « être à la place d’honneur » impose ici.
Si preseoir s’est effacé depuis des siècles, le nom apparenté préséance (« priorité dans une cérémonie protocolaire, dans une hiérarchie ») est, quant à lui, toujours bien vivant, notamment dans le tour avoir préséance sur quelqu’un, sur quelque chose.
Le verbe présider, emprunt tardif au latin classique praesidere, peut être vu comme un doublet savant de preseoir, puisque tous deux remontent à un même étymon latin et signifient littéralement « être assis en avant, à la première place ». Si présider et ses dérivés n’avaient pas connu la postérité lexicale que l’on sait, la France aurait peut-être aujourd’hui à sa tête un « préséant » de la République.
assoir, assis, assise, assises
assoir
Le verbe assoir (orthographe traditionnelle asseoir) nous vient du latin populaire assedere, lui-même dérivé de sedere, « être assis » par l’intermédiaire de la forme assidere (dont le dérivé assiduus a d’ailleurs donné assidu en français).
On a déjà mentionné dans la précédente chronique que, dans son sens usuel, le verbe (s’)assoir a détrôné (se) soir. Au contraire de ce dernier, dont on a vu qu’il est défectif, assoir présente une conjugaison foisonnante, ayant la caractéristique inhabituelle de posséder, pour la plupart des temps simples, deux séries de formes admises concurrentes, concurrence compliquée par l’existence de formes additionnelles à l’oral.
Voici une capture d’écran du conjugueur d’Antidote, qui montre les deux séries en question.
À noter que l’infinitif est la seule forme du verbe à être touchée par les rectifications de l’orthographe, qui recommandent la forme assoir au lieu de la forme traditionnelle asseoir, où la lettre e, muette depuis des siècles, fait figure de vestige isolé. Il n’y a en effet aucune autre occurrence de la suite de lettres -eoi- dans la conjugaison du verbe, même en orthographe traditionnelle, où l’on doit donc aussi écrire :
j’assois
j’assoirai
que j’assoie
Et jamais :
*j’asseois
*j’asseoirai
*que j’asseoie
Ce point étant rappelé, laquelle des deux conjugaisons faut-il préférer? Assoyez-vous ou asseyez-vous?
Les formes qui apparaissent en deuxième position dans l’image — appelons-les ici les « deuxièmes formes », par opposition aux « premières formes » — sont plus anciennes et généralement considérées comme plus soignées. La langue parlée préfère souvent les premières formes, influencées par l’infinitif et relativement plus simples à conjuguer. Cela dit, on constate des préférences régionales dans la francophonie. Par exemple, en Belgique, les premières formes sont peu employées, alors que c’est plutôt l’inverse au Québec et que la France est assise entre les deux.
La préférence entre les deux formes dépend aussi du sens de ce verbe polysémique. Pour les sens figurés, comme « établir de façon solide », les premières formes sont plus usitées, peu importe la région. On trouve ainsi plus fréquemment il assoit son autorité que il assied son autorité.
Des formes d’un troisième type, sur le radical assi- (infinitif assir(e), présent je m’assis, impératif assis-toi, etc.), étaient aussi utilisées en français moyen et classique. Elles survivent dans la langue orale de certaines régions, en particulier au Québec, mais sont considérées comme d’un registre relâché.
Au futur et au conditionnel, on trouvait encore au siècle dernier les formes j’asseyerai(s), nous asseyer(i)ons, etc. Des formes encore plus primitives sont j’asserrai(s), nous asserr(i)ons. Toutes ces formes sont aujourd’hui délaissées.
Pour terminer sur la conjugaison, voici en guise d’exercice quelques spécimens d’erreurs à corriger (avec ou sans le secours du tableau de conjugaison donné plus haut) :
*il asseoit (indicatif présent)
*elles s’assoyèrent (indicatif passé simple)
*ils assoieront (indicatif futur simple)
*que nous assoyons (subjonctif présent)
*que je m’assoyasse (subjonctif imparfait)
*assisez-vous (impératif présent)
assis, assise, assises
Le participe passé d’assoir sert aussi à former des adjectifs et des noms.
Dans l’ordre donné à un chien de s’assoir :
Assis!
Il ne s’agit pas là du verbe employé à une forme douteuse d’impératif, mais plutôt du participe passé, employé comme adjectif, de la même façon qu’on dirait :
Couché!
Le nom féminin assise désigne couramment aux sens propre et figuré une fondation, une base :
l’assise d’un mur
une assise financière solide
Comme synonyme de séance ou de session d’une cour, d’une assemblée, le mot s’emploie au pluriel :
Le parti tient ses assises le mois prochain.
Attention aussi au pluriel et aux minuscules dans la locution cour d’assises, qui désigne en France un tribunal où sont jugés les crimes. On l’appelle aussi par ellipse les assises :
plaider à la cour d’assises
plaider aux assises
plaider en assises
Au Québec existe une entité judiciaire analogue appelée assises criminelles.
places assises, places debout
Dans le domaine du transport, on trouve les expressions places assises et places debout quand il est question de la capacité d’un véhicule en nombre de passagers assis (nombre de sièges) et de passagers debout :
Cette voiture compte vingt places assises et trente places debout.
Ces locutions ont été critiquées comme illogiques sous le prétexte que ce sont les passagers et non les places qui sont assis ou debout. Ce glissement de sens est parfois interprété comme une métonymie ou encore une hypallage, figure de style consistant à attribuer à un mot de la phrase ce qui s’applique logiquement à un autre mot (explicite ou implicite) de cette phrase. Quoi qu’il en soit, ces expressions sont assez répandues pour que place assise ait obtenu sa place assise dans le Dictionnaire de l’Académie française.
rassoir, rassis, rassir, rassi, rassissement
rassoir
Le verbe rassoir (orthographe traditionnelle rasseoir), présente une double conjugaison en tous points semblable à celle d’assoir : au présent je rassois ou je rassieds, à l’imparfait je rassoyais ou je rasseyais, etc. Pour les détails, voir plus haut la section sur assoir.
Formé par l’ajout du préfixe de répétition r- à assoir, le verbe (se) rassoir signifie premièrement « (s’)assoir de nouveau » :
Rassoir un enfant sur son siège.
Les spectateurs se sont rassis après l’ovation.
Il a aussi jadis signifié « (se) calmer, (se) rasséréner ».
Rassoir son cœur affolé.
Rasseyez-vous un peu.
rassis, rassise
Son participe passé rassis s’emploie comme adjectif signifiant « pondéré, réfléchi » ou « calme, tranquille » :
un esprit rassis
une existence rassise
Il s’est aussi spécialisé pour qualifier certains aliments qui ont perdu leur fraicheur ou qui ont durci, notamment des produits de boulangerie, des pâtisseries :
du pain rassis
une brioche rassise
L’adjectif s’emploie aussi en boucherie pour qualifier la viande d’un animal abattu qui est conservée un certain temps :
viande rassise
Comme verbe correspondant, on n’utilise pas rassoir, mais plutôt la forme suivante.
rassir
L’emploi alimentaire fréquent de rassis a provoqué en retour la naissance du verbe (se) rassir, « devenir rassis, moins frais » :
Le pain a rassis, s’est rassis.
La brioche va rassir, se rassir.
Contrairement à *assir par rapport à assoir, l’infinitif rassir est devenu tout à fait correct dans la langue standard. Ce verbe s’emploie surtout à l’infinitif et aux temps composés, mais on le trouve aussi conjugué aux temps simples, généralement sur le modèle de finir, peut-être par analogie avec le verbe sémantiquement voisin moisir :
Le pain rassissait rapidement.
La brioche rassira à l’air libre.
rassi, rassie
L’alignement de rassir sur finir et moisir inclut aussi souvent la forme du participe passé dans les temps composés. Au lieu de rassis et rassise, on rencontre alors rassi et rassie :
Le pain a rassi.
La brioche s’est rassie.
On trouve fréquemment ces formes également dans l’emploi adjectival :
du pain rassi
une brioche rassie
Ces variantes ont été critiquées comme moins soignées, mais sont suffisamment répandues pour être mentionnées dans certains dictionnaires, notamment celui de l’Académie française.
rassissement
Signalons enfin comme dérivé de rassir le nom rassissement, « perte de fraicheur » :
le rassissement du pain
Peut-être sous l’influence de la forme féminine rassise, le nom est parfois écrit *rassisement, avec un s en moins, mais cette forme nettement minoritaire est à éviter.
sursoir, sursis, susitaire, surséance
sursoir
Le verbe sursoir a été formé par ajout du préfixe sur- au verbe soir. Il signifie « remettre à plus tard, différer » et relève de la langue juridique ou littéraire.
Sa conjugaison suit les premières formes du verbe assoir (je sursois, je sursoyais, que je sursoie, etc.) à cette différence près que, en orthographe traditionnelle, la suite de lettres -eoi- figure non seulement à l’infinitif (surseoir), mais aussi au futur simple et au conditionnel présent (je surseoirai, je surseoirais), complication supplémentaire résolue en orthographe rectifiée, où ce e muet est supprimé (je sursoirai, je sursoirais).
Contrairement à assoir et rassoir, sa conjugaison n’a pas de deuxièmes formes. On ne dira donc pas :
*je sursieds
*je surseyais
sursoir la décision ou sursoir à la décision?
Sursoir s’est utilisé dans le passé de façon transitive directe :
sursoir la décision
On peut encore trouver occasionnellement ce tour dans des textes juridiques, mais de nos jours, dans le domaine du droit comme ailleurs, on emploie plutôt le verbe de façon transitive indirecte, avec à :
sursoir à la décision
Attention de ne pas se méprendre sur le sens de à dans cette construction : sursoir à la décision ne signifie pas « remettre au moment de la décision, attendre au moment de la décision », mais bien « remettre la décision à plus tard, différer la décision ». Le complément peut aussi être un verbe :
sursoir à décider
Parallèlement au déclin de l’emploi transitif direct, le participe passé féminin sursise est devenu rare. La forme masculine sursis est, quant à elle, aussi employée comme nom.
sursis, sursitaire, surséance
Le nom sursis, en langue juridique, désigne un délai ou une dispense partielle ou totale touchant l’exécution d’une peine. Dans la langue courante, le mot désigne une remise à plus tard :
Ses créanciers lui ont accordé un sursis.
Obtenir un sursis de deux mois.
Le mot dérivé sursitaire, employé comme nom ou adjectif, se dit d’une personne qui bénéficie d’un sursis.
Quant au nom surséance, il désigne le fait de sursoir ou la durée du délai pendant lequel on sursoit. Il est devenu rare, concurrencé par sursis, qui peut revêtir les mêmes sens.
siéger
Avant de clore la séance, un mot sur le verbe siéger, lointain cousin étymologique des verbes soir et assoir, qui signifie, entre autres, « tenir séance » ou « détenir une fonction dans une assemblée, en faire partie, en être ». Il s’emploie notamment dans des constructions de ce type :
Je siège au comité, dans le comité.
J’y siège.
Il faut se garder d’employer les tournures suivantes, calquées sur l’anglais :
*Je siège sur le comité.
*Je siège dessus.
Cela pourrait laisser une impression cocasse, voire méprisante : « Le comité, je m’assois dessus! »