Histoires de mots - 3 juin 2025 - 4 min

Bosses du désert

Inutile d’avoir la bosse des mathématiques pour compter les bosses d’un chameau; par contre, le compte des bosses d’un désert, c’est-à-dire ses dunes, serait une autre paire de manches… Comme vous l’avez deviné, cette Histoire de mots parlera des noms chameau, dromadaire et dune. Ce sujet, bien loin d’être aride, nous préparera à la chaleur estivale qui commence déjà à se faire sentir.

chameau

Les origines orientales du chameau se révèlent quand on remonte dans l’histoire de son appellation. En effet, chameau est issu du latin camĕllus, variante populaire de camēlus, emprunté au grec ancien kamēlos. Celui-ci proviendrait d’un nom sémitique lié à la racine gamal-, signifiant ‘porter’, faisant probablement référence à l’utilisation du chameau comme animal de bât. Étonnamment, le nom de la lettre grecque gamma lui est apparenté. Son ascendant phénicien gaml signifiait ‘chameau’ et, de plus, son tracé (Γ), à l’origine incliné, évoquait la bosse d’un chameau. En fait, le chameau en question serait plus précisément un dromadaire, car le chameau à deux bosses (chameau de Bactriane) habite l’Asie centrale, où ne sont généralement pas parlées les langues sémitiques. La forme latine populaire camĕllus a subi deux changements importants conduisant à la forme française moderne chameau, soit la palatalisation du c (donnant ch) et la vocalisation du l (donnant u). La forme classique camēlus avait produit en ancien français la forme chamoil, qui n’a pas survécu.

Bien qu’on puisse désigner par le terme de chameau autant l’espèce à deux bosses que celle à une seule bosse, on le réserve généralement à la première espèce, appelée chameau de Bactriane. Pour éviter la confusion, le chameau d’Arabie, à une bosse, est appelé dromadaire. Le nombre de bosses du chameau a varié selon les éditions du Dictionnaire de l’Académie française. Alors que les éditions antérieures au XIXe siècle ne lui attribuent en général qu’une seule bosse, conformément à son sens de ‘dromadaire’ en latin, les éditions du XIXe siècle donnent la préférence aux deux bosses et celles du XXe siècle laissent le choix entre une ou deux bosses… La méconnaissance de cet animal exotique pourrait expliquer cette confusion.

Chameau peut décrire aussi une personne depuis la première moitié du XIXe siècle. D’abord une insulte envers une femme, il a glissé vers le sens de ‘personne hargneuse’, encore usité (Ah! le vieux chameau!), qu’on peut employer aussi adjectivalement (Ce qu’elle peut être chameau!). Mais ce trait de caractère est en réalité plus le propre du dromadaire, plus agressif que le chameau à deux bosses.

Les chameaux ont la capacité de rester sans boire d’eau pendant de nombreux jours, d’où l’expression sobre comme un chameau, apparue vers 1820. Lorsqu’elle s’applique à l’être humain, celle-ci réfère le plus souvent au fait de s’abstenir de consommer de l’alcool plutôt que de l’eau. On l’utilise également pour qualifier un véhicule qui consomme peu de carburant (un nouveau modèle sobre comme un chameau). Par contre, le chameau des paroles Il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, prononcées par Jésus à ses disciples pour les informer de l’impossibilité pour un riche d’entrer au paradis, fait référence à la grande taille de l’animal.

dromadaire

En zoologie, on distingue généralement le dromadaire du chameau par le nombre de bosses que l’animal porte sur son dos : le premier en possède une seule; le second, deux. Néanmoins, dans la langue courante, le dromadaire peut être considéré comme une espèce de chameau.

Les Romains n’étaient familiers qu’avec le dromadaire, mais ils établissaient néanmoins une distinction entre « dromadaire » et « chameau » en réservant au dromadaire rapide servant de monture le nom de « dromadaire » (en latin, dromas) et à celui utilisé pour le bât le nom de « chameau » (en latin, camēlus). Le nom latin dromas constitue une ellipse du grec dromas kamēlos ‘chameau coureur’, dromas signifiant en grec ‘coureur’. Celui-ci est apparenté au nom dromos ‘course’, qui a servi à former plusieurs noms de terrains en -drome, destinés à la course ou aux véhicules aériens (hippodrome, vélodrome, cynodrome, aérodrome…). Un autre parent, l’adjectif dromaios ‘qui court à toute allure’, est à l’origine par ailleurs du nom des dromaiidés, la famille des émeus (oiseaux coureurs d’Australie).

Apparu au XIIe siècle en français sous la forme dromedaire, le mot a été refait en dromadaire dès le siècle suivant. Il provient d’une forme latine tardive dromedarius, attestée dans la Vulgate, dérivée par l’ajout du suffixe -arius ‘relatif à’ à la forme fléchie dromad- du latin classique dromas. Contrairement au terme latin, qu’on réservait aux dromadaires rapides servant de monture, le terme français correspondant semble s’appliquer à tous les dromadaires. Les éditions du Dictionnaire de l’Académie française antérieures au XXe siècle décrivent toutes le dromadaire comme étant un chameau rapide, conformément à son étymologie. Toutefois, les éditions de 1762 et de 1798 lui attribuent étrangement deux bosses, à tort, puisque le chameau à deux bosses est moins rapide que le dromadaire.

dune

Le fait que certaines côtes de la Flandre et des Pays-Bas présentent des buttes de sable explique l’origine du nom dune. En effet, celui-ci a été emprunté dès le tournant du XIIIe siècle à la langue parlée dans cette région à l’époque, le moyen néerlandais. Le mot, qu’on écrit duin en néerlandais moderne, n’a subi aucune modification graphique lors de son adoption. Un diminutif dunette a été créé au milieu du XVIe siècle par l’ajout du suffixe -ette. Après avoir désigné simplement une petite dune, il a pris dans les années 1630 le sens de ‘superstructure du pont arrière d’un navire servant de logement’, par analogie de forme avec la dune. Plus récemment, on a créé plusieurs locutions spécialisées avec dune pour décrire les diverses configurations de dunes et leur position par rapport au vent (dunes longitudinales, dunes paraboliques, dunes transversales…). On évitera cependant la locution dune de sable, qui est considérée comme un pléonasme, une dune étant toujours, par définition, composée de sable.

Le nom dune se retrouve dans de nombreux toponymes désignant des lieux sablonneux (dans les Hauts-de-France : Bray-Dunes, dune Marchand, dune du Perroquet ; en Nouvelle-Aquitaine : dune du Pilat, la plus haute dune d’Europe ; aux îles de la Madeleine [Québec] : dune du Nord, dune du Sud). Le mot néerlandais à l’origine de dune constituant lui-même un emprunt au gaulois dūnon ‘forteresse ou colline’ (latinisé en dunum), on rencontre beaucoup d’autres toponymes apparentés provenant de cette langue, par exemple Verdun (Verodunum ‘puissante forteresse’), Lyon (Lugdunum ‘forteresse du dieu Lug’) et l’hybride romano-gaulois Châteaudun (Castellodunum ‘forteresse-forteresse’!).

En remontant jusqu’à l’indo-européen et en redescendant la branche germanique, on aboutit en outre au suffixe correspondant anglo-saxon -tun ‘domaine (clos)’, qui a conduit à -ton en anglais moderne, par l’ouverture du u en o (parallèlement à sunu ‘fils’, qui a donné son en anglais moderne). Ce suffixe a été tout aussi prolifique que le dūnon gaulois, puisqu’on le rencontre dans de nombreux toponymes d’origine anglaise (Washington, Kingston, Boston…). Il est directement lié au nom anglais town ‘petite ville’, qui entre, lui aussi, dans la composition de toponymes (Freetown, Georgetown, Charlottetown…).

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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