Pâque et Pâques
Les noms des fêtes religieuses printanières Pâque et Pâques présentent quelques difficultés d’écriture : orthographe, genre, nombre, emploi ou non de la majuscule ou d’un déterminant, polysémie… Voyons cela de plus près.
La fête juive
La fête juive annuelle, qui commémore la sortie d’Égypte au temps de Moïse, se dit en hébreu Pessah, mot qui évoque le « passage », non pas le passage hors d’Égypte, mais le passage de Dieu au-dessus des maisons des Hébreux qu’il voulait épargner quand il fit mourir les premiers-nés d’Égypte. On trouve parfois le mot Pessah (ou une variante graphique similaire) utilisé tel quel dans des textes français. L’usage français courant est toutefois de désigner cette fête par le mot Pâque, qui a la même origine, mais qui nous est parvenu par l’intermédiaire de l’araméen, du grec et du latin, ce qui explique les importantes modifications sonores et graphiques qu’il a subies au fil des siècles.
Ce mot Pâque, sans s, est féminin singulier et s’emploie normalement précédé d’un déterminant défini : la Pâque. La majuscule est facultative : la Pâque ou la pâque. En effet, les noms de fêtes prennent généralement la majuscule, mais comme la fête juive s’étale en fait sur huit jours, son nom se rapproche des noms de périodes, comme carême ou ramadan, pour lesquels c’est plutôt la minuscule qui est recommandée. Voici des exemples d’emploi :
fêter, faire la Pâque (ou la pâque)
veillée familiale de la Pâque (ou la pâque)
Les juifs célèbrent la Pâque (ou la pâque) au début du printemps.
L’expression la Pâque juive pourra être sentie comme un pléonasme dans les contextes où il n’y a pas d’ambigüité possible, mais la précision apportée par l’adjectif n’est pas inutile dans les contextes où l’on peut craindre une confusion avec la fête chrétienne.
L’agneau pascal
Les anciens Hébreux sacrifiaient un agneau au début de la Pâque. Par métonymie, cet agneau est appelé la pâque. Il s’agit ici d’un nom commun, qui prend donc la minuscule. Voici des exemples d’emploi :
immoler la pâque
manger la pâque
La fête chrétienne (catholiques et protestants)
La fête mobile chrétienne annuelle (pouvant tomber du 22 mars au 25 avril dans les Églises occidentales) commémore la résurrection du Christ qui, selon le Nouveau Testament, eut lieu à l’époque de la Pâque juive, d’où son nom Pâques, qui, de nos jours, s’écrit avec un P majuscule et un s final. En ancien français, le mot était le plus souvent considéré comme féminin pluriel, mais on le rencontrait aussi au féminin singulier, puis au masculin singulier, ce qui explique ses particularités d’emploi en français moderne. Dans certains contextes, il s’emploie au masculin singulier, sans déterminant :
fêter, célébrer Pâques
Pâques est précédé de la semaine sainte et suivi de la semaine de Pâques.
Pâques était tardif en 2011 : cette année-là, il tombait le 24 avril.
Le lundi de Pâques est le lendemain de Pâques.
Les enfants ont décoré des œufs de Pâques.
On se reverra à Pâques prochain.
Le masculin singulier est notamment utilisé quand le mot est employé comme ellipse de jour de Pâques ou dimanche de Pâques, sans avoir nécessairement de connotation religieuse, comme dans le dernier exemple ci-dessus (à Pâques prochain).
Quand il est accompagné d’une épithète et qu’il désigne la fête religieuse ou, de façon plus large, l’ensemble de la période pascale, le mot s’emploie au féminin pluriel, avec déterminant :
On a eu des Pâques pluvieuses cette année.
Je vous souhaite de bonnes, de joyeuses, d’heureuses Pâques.
Joyeuses Pâques !
Aussi au féminin pluriel, mais sans déterminant, dans ces expressions vieillies :
à Pâques fleuries (le dimanche des Rameaux, qui précède Pâques)
à Pâques closes (le dimanche qui suit Pâques, aussi appelé Quasimodo)
La locution Pâques fleuries ci-dessus est à rapprocher de la pâquerette, une fleur qui tire son nom de la période de l’année où elle fleurit.
Mentionnons enfin l’expression faire ses pâques ou faire de bonnes pâques, qui signifie « communier pendant le temps pascal, selon la prescription catholique ». La minuscule à pâques se justifie ici par le fait que le mot est par métonymie un nom commun signifiant « communion ».
La fête chrétienne (orthodoxes)
Pour désigner la fête chrétienne telle qu’elle est célébrée dans les Églises orthodoxes ou orientales, on peut suivre les mêmes règles que ci-dessus, mais l’usage utilise souvent le mot Pâque sans s, au féminin singulier, avec déterminant (la Pâque) et majuscule facultative (la Pâque ou la pâque). Bref, le nom peut s’employer de façon comparable à celui de la fête juive, en particulier quand il est suivi d’un qualificatif qui précise la dénomination :
la Pâque grecque (ou la pâque grecque)
la Pâque orthodoxe (ou la pâque orthodoxe)
la grande Pâque russe (ou la grande pâque russe)
Autre particularité de la fête orthodoxe : le calcul pour déterminer sa date diffère de celui utilisé dans l’Église catholique et aboutit parfois à une différence de plus d’un mois. Par exemple, en 2013, la fête tombe le dimanche 31 mars chez les catholiques et le dimanche 5 mai chez les orthodoxes.
Florilège pascal
En complément, voici un petit bouquet d’expressions où figure le nom de Pâques.
Un dicton météorologique : Noël au balcon, Pâques au tison. S’il fait chaud à Noël, il fera froid à Pâques. Formellement, on retrouve là des caractéristiques des dictons : structure binaire parallèle, rime, emplois figurés (le balcon pour le temps chaud, le tison pour le temps froid).
Une locution adjectivale de comparaison : long comme d’ici à Pâques. Très long. Cette expression vieillie, qu’on pourrait rapprocher de long comme un jour sans pain, évoque le carême, la période de pénitence et de jeûne que doivent observer les fidèles avant Pâques, période dont la longueur (40 jours) peut sembler une éternité lorsque l’on jeûne. Cette expression peut s’utiliser aussi bien pour la longueur dans le temps (il nous a servi un sermon long comme d’ici à Pâques) que dans l’espace (la mariée portait une robe avec une traine longue comme d’ici à Pâques).
Une locution adverbiale de temps : à Pâques ou à la Trinité. Dans un avenir lointain, indéterminé, peu probable, voire jamais. La Trinité (ou Sainte Trinité) est une fête célébrée par les catholiques le huitième dimanche après Pâques. Au Moyen Âge, certaines ordonnances royales indiquaient que les emprunts seraient remboursés par le souverain à Pâques ou à la Trinité, engagement qui était rarement respecté, d’où la valeur ironique qu’a fini par prendre cette expression. Elle a été popularisée par la chanson Malbrough s’en va-t-en guerre, qui contient ces paroles : Il reviendra z’à Pâques ou à la Trinité. La Trinité se passe, Malbrough ne revient pas.
Une locution verbale figurée : faire (ou fêter) Pâques avant les Rameaux. Le dimanche des Rameaux étant fêté une semaine avant Pâques, cette locution laisse entendre que les choses n’ont pas été faites dans l’ordre attendu. Plus précisément, elle signifie : consommer le mariage (voire tomber enceinte) avant qu’il ne soit célébré.
Et des noms propres
Un toponyme : l’ile de Pâques. Cette ile polynésienne célèbre pour ses statues mégalithiques doit ce nom au premier Européen à l’avoir visitée, le Néerlandais Jacob Roggeveen, qui l’aperçut le jour de Pâques (5 avril) 1722. Le nom français est la traduction du néerlandais het Paasch Eyland. Un autre toponyme bien connu tirerait son origine d’un baptême similaire, qui se passait en 1513 : on suppose que c’est parce qu’il l’aborda durant la période de Pâques, en ancien espagnol Pascua Florida (« Pâques fleuries »), que le conquistador Juan Ponce de León donna à la terre qu’il accosta le nom de Florida.
Le nom Pâques a comme adjectif correspondant pascal (« relatif à Pâques »), auquel sont apparentés les prénoms Pascal, Pascale, Pascaline. Les premiers Pascal furent probablement baptisés ainsi parce qu’ils naquirent à l’époque de Pâques. Le prénom est lui-même devenu un nom de famille, comme celui porté par Blaise Pascal, célèbre savant et écrivain. Et c’est en l’honneur de ce dernier que le nom pascal a été donné à l’unité de mesure de pression du Système international, nom qui a lui-même engendré toute une famille de dérivés : hectopascal, kilopascal, etc.
Bref, le mot Pessah a connu une descendance prolifique depuis sa sortie d’Égypte.