Histoires de mots - 5 aout 2024 - 3 min

Comment ça va?

Comment ça va? Cette question anodine recèle une richesse étymologique insoupçonnée. Surtout si l’on répond négativement à la question et que notre état nécessite notre transport en ambulance. Se rend-on compte alors du lien séculaire existant entre aller et ambulance? Et que les formes conjuguées de aller se répartissent entre trois étymons différents? Peut-être pas sur le moment, naturellement, mais on peut profiter de la convalescence pour laisser déambuler notre esprit. Allons donc poser notre diagnostic sur trois mots remontant au même étymon latin : aller, ambulant et ambulance.

aller

Le verbe aller tire sa conjugaison particulière de trois étymons latins différents qui exprimaient tous un déplacement : ambulare, ire et vadere, qui ont légué respectivement les formes du type allons, irons et vont.

Ces trois verbes du latin classique sont également liés de façon directe ou indirecte à d’autres mots français :

  1. Ambulare ‘se promener’ a fourni ambulant, ambulance et ambulancier, ainsi que ambulatoire, par l’intermédiaire du latin tardif ambulatorius ‘qui se déplace’. Par préfixation d’un de- à ambulare (deambulare), le latin nous a, de plus, laissé le verbe déambuler et son dérivé déambulateur. Sans oublier le somnambule et le noctambule, qui « dort en se promenant » et qui « se promène la nuit ».
  2. Ire ‘aller’ se dissimule en français dans quelques-uns de ses dérivés, par exemple, le latin subire, qui signifiait proprement ‘aller sous’, mais qui a signifié dès le latin classique ‘supporter, subir’ (subir). Parmi les autres dérivés latins, on trouve également exire ‘aller à l’extérieur’ (exit ‘sortie de scène d’un personnage’) et transire ‘aller au-delà’ (transi).
  3. Vadere ‘marcher’ a produit plusieurs dérivés préfixés du latin comme evadere et invadere, dont les sens propres respectifs sont ‘marcher vers l’extérieur’ et ‘marcher vers l’intérieur’. Ces mots ainsi que certains de leurs dérivés ont été adoptés par le français : évader, évasion, évasif, évasivement et invasion. De plus, invadere a engendré, après un passage par le latin populaire invadire, le mot envahir.

Parmi les nombreux emplois qu’a acquis aller, on trouve déjà au Moyen Âge l’acception ‘être dans tel état de santé ou telle disposition’ (aller bien, mal; comme t’en va? ‘comment ça va?’), étendu au cours des choses en français classique (comment vont les affaires?). On utilise aussi dès le Moyen Âge la forme impérative (Allons!, Allez!) pour encourager, ainsi que l’expression s’en aller pour exprimer un départ (je m’en vais). L’expression se laisser aller ‘ne rien faire pour changer sa situation’ est apparue, quant à elle, au XVIIe siècle; elle a été dérivée de la forme non pronominale médiévale laisser aller ‘ne pas intervenir’. Enfin, à la fin du Moyen Âge, aller est même entré dans le domaine grammatical en servant de semi-auxiliaire (suivi d’un infinitif) pour former, à la forme de l’indicatif présent, le futur proche (la réunion va commencer) ou, à la forme de l’indicatif imparfait, le passé prospectif (la réunion allait commencer).

ambulant

C’est au cours de la Renaissance que ambulant a été emprunté au participe présent ambulans (forme fléchie : ambulant-) du verbe latin ambulare ‘marcher, se promener’, attesté depuis le IIe siècle av. J.-C. Le français connaissait un verbe ambuler, emprunté à ce verbe latin et qui constituait le doublet savant de aller. Employé depuis le XVe siècle, il est sorti de l’usage courant au siècle suivant, sauf dans le domaine juridique (un juge qui ambule ‘un juge qui tient des assises en divers lieux’) et, à de rares occasions dans la littérature, au sens plus étroit de ‘se promener sans but, flâner’ (ambuler sur les quais).

Contrairement au verbe, l’adjectif est demeuré courant, mais a généralement été restreint aux occupations (vendeur, marchand, musicien, barbier ambulant), dans le sens de ‘qui change régulièrement de lieu pour exercer son occupation’, ou à certains postes mobiles, comme hôpital ambulant ‘poste de soins mobile sur un champ de bataille’, à l’origine de ambulance. On perçoit néanmoins encore son sens général de ‘qui se promène’ dans certaines locutions familières comme cadavre, squelette ambulant ‘personne très maigre’ (comme s’il s’agissait d’un cadavre, d’un squelette « qui se promenait »). On l’utilise aussi dans le même registre pour comparer une personne à une chose (dictionnaire ambulant ‘personne savante’, catastrophe ambulante ‘personne qui porte malheur’, caricature ambulante ‘personne ridicule’, etc.).

ambulance

Ambulance a désigné un hôpital militaire ambulant jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Cet emploi, issu de la nominalisation de ambulant, était apparu à la fin du XVIIIe siècle, précédé de l’expression hôpital ambulant, formée au milieu du XVIIIe siècle. Ambulance n’avait alors que le sens de ‘charge administrative exercée en divers lieux’.

Pour désigner le véhicule destiné au transport des blessés ou des malades, on voit d’abord apparaitre deux expressions formées avec ambulance (au sens de ‘hôpital ambulant’) : chariot d’ambulance (fin du XVIIIe siècle) et voiture de l’ambulance (années 1820). Ces expressions réservées au domaine militaire ont été remplacées par l’ellipse ambulance dans les années 1860, laquelle s’étendra au domaine civil à la fin du XIXe siècle. La locution tirer sur l’ambulance ‘s’acharner sur une personne déjà grandement éprouvée’, attestée depuis les années 1950, réfère au fait qu’une ambulance transporte une personne qui se trouve déjà dans une mauvaise situation et que de lui tirer dessus ne ferait qu’aggraver son cas.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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