3 min
Collection de fossiles
S’il est une découverte qui fit l’effet d’un poisson d’avril, ce fut bien celle du cœlacanthe. En effet, ce poisson, qu’on croyait n’exister qu’à l’état de fossile depuis l’époque des dinosaures, fut retrouvé vivant par un pêcheur au XXe siècle. Nous nous pencherons ici sur son histoire particulière ainsi que sur celle de ses appellations française et latine. Nous constituerons ensuite une jolie collection de fossiles en creusant aussi l’histoire de deux autres animaux qui sont, quant à eux, bel et bien disparus : le mammouth et le tyrannosaure.
cœlacanthe
Le cœlacanthe est un poisson proche des ancêtres aquatiques des vertébrés terrestres. Il constitue l’exemple le plus célèbre d’un fossile vivant. Alors qu’on le considérait comme éteint depuis la fin du crétacé (il y a 66 millions d’années), la conservatrice de musée sud-africaine Marjorie Courtenay-Latimer en découvrit fortuitement un représentant vivant en décembre 1938 parmi les prises d’un pêcheur local. Devant son incapacité à l’identifier, elle fit part de sa découverte à l’ichtyologiste sud-africain James Leonard Brierley Smith. Après avoir examiné le spécimen au début de 1939, il y reconnut avec surprise un cœlacanthe.
Pour dénommer les espèces fossiles de ce poisson, on utilisait déjà en anglais le nom coelacanth depuis les années 1850 et son correspondant français cœlacanthe depuis les années 1890. Notons que la ligature œ du nom français est un digramme soudé qui se prononce [é]; en conséquence, le c précédent se prononce [s] ([sélakante], comme dans cœliaque). Cœlacanthe est une adaptation (peut-être par l’intermédiaire de l’anglais) du nom de genre latin Coelacanthus, créé par l’ichtyologiste américano-suisse Louis Agassiz en 1836. Il a été construit à partir de deux étymons du grec ancien : koilos ‘creux, vide’ et akantha ‘épine’, en référence aux rayons creux de sa nageoire caudale.
Les premiers spécimens de cœlacanthes vivants découverts au XXe siècle se distinguant assez du genre fossile Coelacanthus pour en faire un nom de genre à part, Smith forgea en 1939 le binôme Latimeria chalumnae (en français, Cœlacanthe africain). Le nom de genre (Latimeria) fut choisi en l’honneur de Marjorie Courtenay-Latimer et celui de l’espèce (chalumnae), pour rappeler la rivière Chalumna, en Afrique du Sud, près de l’embouchure de laquelle le premier spécimen de cœlacanthe vivant fut pêché. On procéda de la même façon pour la nouvelle espèce de ce genre découverte en 1997, Latimeria menadoensis (1999), appelée Cœlacanthe de Manado (ou encore Cœlacanthe indonésien) en français. Son nom évoque l’ile indonésienne de Manado Tua, au large de l’ile de Célèbes, où le premier spécimen de cette espèce fut pêché.
Par une triste ironie du sort, les techniques de pêche modernes et la destruction de l’habitat des cœlacanthes pourraient entrainer leur véritable disparition, alors qu’ils ont pourtant survécu depuis le dévonien, il y a 400 millions d’années! Si cela se concrétisait, leur statut de fossile vivant n’aura été finalement que de courte durée…
mammouth
Les mammouths étaient de gros éléphants laineux du quaternaire. Leur chasse intensive de même que les changements climatiques ont joué un rôle déterminant dans leur extinction, qui s’est produite il y a moins de quatre-mille ans sur l’ile Wrangel (Sibérie orientale, océan Arctique). Le mot russe pour désigner ces animaux est mamont. Il remonterait à un étymon mamant, appartenant probablement à une langue d’origine ouralienne parlée dans le nord de la Sibérie, soit au mansi (ou vogoule), soit au hanti (ou ostiak). On suggère des formes reconstruites comme *mēmoŋt ‘corne de terre’, déduites des mots modernes mansis mā ‘terre’ et āńt ‘corne’. Le sens ‘corne de terre’ est attribuable à la croyance voulant que les mammouths avaient l’habitude de fouir la terre avec leurs défenses, ou peut-être d’habiter sous terre! Plus prosaïquement, il pourrait simplement s’expliquer par le fait que les restes de mammouth proviennent du sol.
Les premières graphies relevées à partir du tournant du XVIIIe siècle (par exemple, mammut) ont été prises directement au russe. Cependant, les formes en -th (mammuth et mammouth, la forme moderne) pointent vers un intermédiaire anglais. Par analogie avec la grosseur du mammouth, le nom mammouth peut aussi dénoter quelque chose de lourd par sa complexité. Ainsi, Claude Allègre, alors ministre français de l’Éducation nationale, lança en 1997 la phrase « Il faut dégraisser le mammouth! » pour justifier des mises à pied massives dans l’enseignement afin de diminuer les dépenses de l’État. L’expression dégraisser le mammouth frappa les esprits au point d’entrer dans l’usage familier pour exprimer l’allègement d’une structure administrative lourde et bureaucratique.
tyrannosaure
Le tyrannosaure est un dinosaure bipède, réputé pour être un des plus grands carnivores terrestres de tous les temps. Son nom scientifique latin lui fut attribué en 1905 par le paléontologue américain Henry Fairfield Osborn. Il est formé de deux étymons du grec ancien, les noms turannos (à l’origine de tyran), signifiant ‘souverain absolu’, et sauros, signifiant ‘lézard’. Osborn a fourni les premières descriptions officielles de cet animal fossile dans deux articles de référence publiés en 1905 et en 1906 dans le Bulletin of the American Museum of Natural History (Bulletin du Musée américain d’histoire naturelle). Il proposa le genre Tyrannosaurus dans l’article de 1905, Tyrannosaurus and Other Cretaceous Carnivorous Dinosaurs (« Le tyrannosaure et autres dinosaures carnivores du crétacé »), en référence à sa taille, qui excédait largement celle des autres animaux carnivores terrestres. Dans son article de 1906, intitulé Tyrannosaurus, Upper Cretaceous Carnivorous Dinosaur (« le Tyrannosaure, un dinosaure carnivore du crétacé supérieur »), il propose le binôme Tyrannosaurus rex (en ajoutant le mot latin signifiant ‘roi’) pour nommer la seule espèce de ce genre. Ce binôme en faisait en quelque sorte deux fois un dirigeant, étant simultanément « tyran » et « roi ». Le nom français tyrannosaure a fait son apparition quelques années plus tard.
