Histoires de mots - 1 octobre 2024 - 2 min

Antidotes divers (et d’automne)

Le terme antidote, qui donne son nom au logiciel linguistique sans doute bien connu du lectorat de cette chronique, possède une histoire plus que deux fois millénaire. Né en Grèce antique, puis adopté par les Latins, le mot rappelle souvent une légende : Mithridate le Grand (132-63 av. J.-C.), roi du Pont (région située au sud de la mer Noire), par crainte d’être empoisonné, augmentait progressivement les petites doses de poison qu’il s’administrait afin de s’immuniser. Pour nommer ce processus d’accoutumance, on parle aujourd’hui de mithridatisation. Si certains des synonymes d’antidote sont d’utilisation fréquente en français moderne (contrepoison, antipoison, antitoxique et, au sens figuré, remède, baume, exutoire), d’autres paraissent surement plus obscurs — et cette chronique se propose d’examiner trois d’entre eux. Mais d’abord, consacrons quelques mots de plus au principal concerné.

antidote

En grec ancien, antidotos signifiait littéralement ‘qui est donné contre’; son sens se spécialisa par la suite en ‘qui est donné en tant qu’antidote ou remède’. Il a été formé de la préposition anti ‘contre’ et de dotos ‘donné’, participe passé de didonai ‘donner’, dont le radical dō- a aussi donné dose en français (étymologiquement, ‘ce qui est donné’). Comme nom, antidotos réfère aux substances administrées dans le but de combattre un mauvais fonctionnement du corps. On le rencontrait sous sa forme masculine (antidotos) ou neutre (antidoton).

Les formes grecques ont été adaptées en antidotus (masculin) et antidotum (neutre) en latin impérial avec le même sens de ‘antidote ou remède’. Au Moyen Âge, le français emprunte le mot (masculin ou neutre) au latin, d’abord dans le sens figuré de ‘ce qui combat un mal moral ou psychologique’, puis au sens propre de ‘contrepoison’. Ces deux sens sont toujours courants de nos jours.

alexipharmaque

Comme son synonyme antidotos, l’adjectif grec aleksipharmakos signifiait ‘qui agit en tant que remède’. Il a été composé à partir du verbe aleksein ‘défendre, protéger de’ (à l’origine aussi du prénom byzantin Alexis, littéralement ‘défenseur, protecteur’) et de pharmakon ‘drogue, remède, poison’ (à l’origine de pharmacie). L’ambivalence sémantique de pharmakon autorise deux interprétations pour aleksipharmakos : soit ‘remède pour protéger de’, soit ‘protection contre le poison’. Le nom correspondant à cet adjectif était aleksipharmakon ‘antidote’, de genre neutre. Il a vraisemblablement été introduit en latin par le polymathe Pline l’Ancien au Ier siècle de notre ère.

Emprunté au latin à la fin du XVIe siècle sous la forme alexipharmaque, le nom français est demeuré pendant des siècles un terme médical rare, contrairement à antidote, d’usage courant. Il est maintenant désuet.

bézoard

Le bézoard est une concrétion minérale se formant dans l’appareil digestif de plusieurs herbivores. On attribuait autrefois au bézoard des propriétés d’antidote, ce qui explique que son étymon perse pād-zahr signifie littéralement ‘qui protège (pād) du poison (zahr)’. La formation du mot perse est similaire à celle de alexipharmaque, de même signification en grec ancien. Avant d’aboutir au français, pād-zahr est passé par l’arabe bāzahr, puis par l’arabe magrébin bezuwār, avant d’aboutir au latin médiéval bezoar.

En français, le mot fait sa première apparition au XVe siècle sous une forme bezaar directement importée de l’arabe. Il est réintroduit sous sa forme latine bezoar au milieu du XVIe siècle. À la fin du même siècle, on ajoutera un d final, par analogie avec les nombreux mots français se terminant en -ard (canard, boulevard, hasard, etc.).

thériaque

Le nom thériaque, qui désigne une préparation pharmaceutique employée contre les venins, a été emprunté au latin impérial theriaca. Il s’agit d’une adaptation du grec ancien thēriakē, une ellipse de l’expression thēriakē antidotos, composé de antidotos ‘antidote’ et de thēriakē, forme féminine de thēriakos, signifiant ‘relatif aux bêtes sauvages venimeuses’. Cet adjectif provient du nom thērion ‘bête sauvage’, lui-même un diminutif de thēr ‘bête de proie’. Cette racine grecque est aussi à l’origine de la finale latine -thérium du nom de certains mammifères placentaires fossiles (mégathérium, dinothérium) ou de sa variante francisée -thère (titanothère, gomphothère).

Le mot a été écrit en français sous diverses formes depuis le XIIe siècle : tiriasque (XIIe), triacle (XIIIe), tiriacle (XVe). Il adopte sa forme moderne (theriaque) au XVIe siècle, sauf pour l’accent aigu (thériaque), ajouté au XVIIIe siècle. Dans les manuels de médecine moderne, thériaque n’a généralement plus qu’une valeur historique.

Bien que thériaque n’ait qu’un sens médical en français, on trouve des emplois régionaux où il est sorti de ce domaine. Le breton, par exemple, désigne la mélasse par triakl, une évolution sémantique de la variante triacle de l’ancien français citée plus haut.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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