Américain ou États-Unien ?
Un habitant de Gatineau, au Québec, nous écrit :
Sachant que le gentilé des habitants du Canada, des États-Unis, du Mexique et de tous les pays de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud devrait en faire des Américains et que donc nos voisins du Sud ne devraient pas monopoliser ni abuser de cette désignation qui nous appartient aussi, n’est-il pas préférable d’utiliser le gentilé États-Uniens, États-Uniennes pour les désigner ?
Pour répondre à la question, commençons par un bref rappel historique.
Le Nouveau Monde découvert dans l’hémisphère occidental par les Européens à la fin du xve siècle fut appelé America en 1507 par un cartographe en l’honneur du navigateur italien Amerigo Vespucci. Ce nom fut assez rapidement adopté et adapté par les langues européennes. Le mot dérivé Américain a d’abord désigné les indigènes du continent, puis a parfois été étendu aux colons qui s’y sont établis, sujets de souverains européens. En 1776, treize colonies britanniques d’Amérique du Nord déclaraient leur indépendance sous le nom d’United States of America (États-Unis d’Amérique), nom que ses habitants ont pris l’habitude de tronquer, soit en disant United States, soit en disant America. Ils ont aussi pris l’habitude de s’appeler Americans. D’autres gentilés anglais moins ambigus ont été proposés au fil du temps (United Statesian, Usian, Usonian, etc.), mais aucun ne s’est imposé.
En français, une évolution semblable s’est produite et l’adjectif américain (comme le nom Américain) peut signifier ou bien « de l’Amérique, des Amériques » ou bien « des États-Unis d’Amérique ». Le mot est donc ambigu, mais en pratique le contexte suffit généralement à lever tout doute. Le mot prend le plus souvent un sens restreint aux États-Unis (l’économie américaine, la littérature américaine, etc.). Cet emploi restreint du mot est tellement courant qu’on sent parfois le besoin d’utiliser le mot panaméricain plutôt qu’américain lorsque l’on veut clairement faire référence à l’ensemble du continent.
On peut comprendre que cette « appropriation » par les habitants d’un pays d’un nom qui devrait appartenir à tous les habitants du continent puisse parfois être sentie par ceux-ci comme fâcheuse, voire carrément impérialiste.
On se heurte à des problèmes similaires dans d’autres langues quand il faut parler des habitants des États-Unis. En espagnol, langue majoritairement parlée en Amérique du Sud, on trouve les gentilés concurrents americano, norteamericano et estadounidense. C’est ce dernier, qui dérive de Estados Unidos de América et qui est donc le plus précis, qui est généralement recommandé pour désigner les habitants des États-Unis. Remarquons que ce mot est cependant problématique au Mexique, république fédérale dont le nom espagnol officiel est Estados Unidos Mexicanos (États-Unis du Mexique). Pour revenir au français, on trouve parfois le mot États-Unien, formé à partir du nom États-Unis, auquel on a joint le suffixe -ien, très utilisé pour former des gentilés. La plus ancienne attestation connue à ce jour remonte à 1934. On la trouve dans un numéro de la revue politique québécoise l’Action nationale, sous la plume de son directeur Arthur Laurendeau :
On comprend facilement que les élites états-uniennes soient de race intellectuelle moins pure que les élites européennes1.
Le contexte où le mot est utilisé n’est guère flatteur pour le peuple concerné ! Même chose dans cet autre extrait de la même revue, dans un numéro datant de l’année suivante, extrait qui présente l’intérêt supplémentaire d’attribuer un père au mot :
Un étudiant nous écrit : « […] on nous infligea un de ces quelconques refrains à boire États-uniens (ainsi qu’écrirait Paul Dumas) comme en hurlaient nos voisins du temps qu’ils ne buvaient pas2. »
Entre 1934 et 1945, le mot états-unien, sous une forme ou sous une autre, revient dans une soixantaine d’articles de cette revue mensuelle, notamment dans ceux du fils d’Arthur Laurendeau, le journaliste bien connu André Laurendeau.
Dans les décennies qui suivent, on rencontre ici et là de rares attestations de ce mot, aussi bien en France qu’au Canada. Tout en restant nettement minoritaire face à américain, il a joui d’un regain de popularité des deux côtés de l’Atlantique depuis l’an 2000, notamment dans les milieux où l’on se montre critique à l’égard des États-Unis. Plus récemment, en France, le mot montrerait des signes de plafonnement dans l’usage.3
Du côté des dictionnaires, le parcours du mot a été fluctuant depuis son premier signalement sous la forme étatsunien dans le Grand Larousse encyclopédique de 1961, mais il est aujourd’hui mentionné dans la plupart des dictionnaires usuels, y compris celui d’Antidote.
On relève plusieurs variantes graphiques : États-Unien, États-unien, Étatsunien, Étasunien, Étazunien, etc. Nous recommandons les formes États-Unien pour le nom et états-unien pour l’adjectif. Ces mots prennent régulièrement les marques du pluriel et du féminin : les États-Uniens, la culture états-unienne.
Ce mot États-Unien présente l’avantage de la clarté et de la précision, ce qui en fait un synonyme tout à fait acceptable d’Américain. Comme il est souvent employé dans des écrits peu favorables à l’endroit des États-Unis, certains pourraient le sentir comme revêtu, par association, d’un caractère péjoratif. D’autres lui reprochent surtout sa « laideur » graphique ou phonétique, mais cette impression peut s’expliquer en partie par la rareté de ce mot qui bouscule des habitudes.
Quant à lui, le mot Américain, aussi mal choisi soit-il, a pour lui le poids de l’histoire, de la tradition, de l’usage très fortement majoritaire.
Dans le cas de l’emploi adjectival, on peut parfois contourner le problème en utilisant simplement la locution des États-Unis. Par exemple, à côté des termes dollar canadien et dollar australien, c’est le terme dollar des États-Unis, plutôt que dollar américain ou dollar états-unien, qui est recommandé par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) pour désigner la devise en usage chez l’oncle Sam4.
En conclusion, c’est au rédacteur que revient la décision du mot à choisir. Ces explications devraient l’aider à faire un choix éclairé.
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Laurendeau, Arthur. « La radio », L’Action nationale, vol. 4, octobre 1934, p. 128. ↩
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Le Guet. « Voix de la jeunesse », L’Action nationale, vol. 6, septembre 1935, p. 86. Le Paul Dumas dont il est question était un membre du mouvement Jeune-Canada. ↩
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Pour une étude plus détaillée sur les hauts et les bas du mot états-unien, on lira avec intérêt l’article de Jacques Desrosiers intitulé Nos voisins les « États-Uniens » ? ↩
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Voir ISO 4217 Liste des codes des monnaies et des types de fonds. ↩